Il n'y a pas que les artères de la capitale où il fait bon flâner pour admirer les monuments d'une architecture hexagonale légendaire. Non, la ville aux multiples édifices historiques n'est pas la seule à valoir le détour quand on aime l'architecture, son histoire et ses valeurs portées haut et fort par les architectes visionnaires du siècle dernier. Ce n'est pas un hasard si les plus fascinants projets d'architecture sortis de terre aux frontières de la capitale datent de l'aube des années 60. Le vent de liberté qui soufflait sur la décennie sixties a inspiré tous les arts, l'architecture y compris.

Dès la fin des années 50, Paris voit sa population croître considérablement et doit nécessairement s'étendre pour multiplier les structures d'habitations au coeur de villes périphériques complètement nouvelles. Ces projets d'envergure seront signés par des grands noms de l'architecture contemporaine. Ricardo Bofill, Oscar Niemeyer, Gérard Grandval et d'autres, tous ont contribué à réinventer les cinq points d'une architecture nouvelle initiée par Le Corbusier dès 1927 en créant bâtiments d'habitation ou édifices publics.Poétiques, brutalistes, futuristes, légères ou massives, toujours captivantes, leurs oeuvres racontent au fil de leurs détails matériels et historiques une certaine idée de l'architecture et du vivre-ensemble. 

Focus sur ces réalisations ambitieuses, polémiques, utopistes entrées au panthéon de l'architecture made in France.

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Les Espaces d'Abraxas à Noisy-le-Grand

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Joyaux de l'architecture brutaliste du Grand Paris, les Espaces d'Abraxas à Noisy-le-Grand détonne depuis plus de 50 ans dans le panorama périphérique de la capitale. Ce paysage de béton grandiloquent conjugue toutes les obsessions de son créateur, Ricardo Bofill. Avec ce projet pharaonique, qui répond à un vaste plan de construction lancé par le gouvernement socialiste de François Mitterrand pour faire face à la crise du logement qui sévit en France dès la fin des années 70, l'architecte catalan a laissé à jamais un manifeste architectural d'envergure, symbole d'une cité idéale pensée comme une vaste Tour de Babel de l'architecture. Un labyrinthe de béton fascinant, peuplé de références architecturales qui reconnectent les habitants comme les visiteurs à une vaste mémoire culturelle où apparaissent aussi bien réminiscences de temples grecques, maisons de la casbah ou théâtres antiques (entre autres).

Avec ses trois volumes impressionnants qui réinventent le langage architectural moderne (le Théâtre à l'ouest, l'Arche au centre et le Palacio à l'est), ce projet immobilier de 600 logements - constitués de locataires et de propriétaires - avait pour but de mélanger toutes les catégories sociales. Une ville nouvelle et partagée au coeur de la ville périphérique, radicalement différente des barres de béton sans âme aux appartements standardisés qui émergeaient alors dans les banlieues françaises depuis le début des Trente Glorieuses. 

Inachevés par son maître, sublimés au cinéma notamment dans la saga Hunger Games, critiqué à multiples reprises, menacés de démolition aussi, les Espaces d’Abraxas sont aujourd'hui visités par de nombreux touristes et des étudiants en architecture... Preuve que l'utopie esquissée par Bofill a encore de beaux jours devant elle. 

>> Les Espaces d'Abraxas, Place des Fédérés, 93160 Noisy-le-Grand

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Les Arcades à Montigny-le-Bretonneux

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À l'aube des années 70, avant de signer les Espaces d'Abraxas, Ricardo Bofill réalise son premier projet français à Montigny-le-Bretonneux : Les Arcades. Son obsession pour la réconciliation entre habitat populaire et monumentalité brille particulièrement dans ce grand ensemble de béton architectonique aux lignes insolites pour l'époque qui convoque, comme souvent dans le travail du Catalan, son goût prononcé pour l'histoire de l'architecture. 

À travers cette construction, Bofill revisite ses classiques et s'imprègne pleinement de la culture locale. Ce vaste programme immobilier s'inspire ainsi de sa proximité avec le château de Versailles et le Paris haussmannien pour créer un vaste territoire d'habitations qui associe autour d'un lac artificiel deux grands boulevards et ensemble de logement mixtes, alignant pavillons et logements HLM. D'une profonde originalité pour son époque, Les Arcades judicieusement surnommées le "Versailles du peuple" fait dialoguer formes historiques et matériaux modernes, magnifiant au passage le logement social et lui offrant la possibilité d'être admiré au même titre qu'une oeuvre d'art. 

>> Les Arcades, 10 Rue Jacques Cartier, 78180 Montigny-le-Bretonneux 

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Les Choux à Créteil

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Symboles d’une époque où l’imagination devait prendre le pouvoir suite aux élans du joli mois de mai 68, les très fameux Choux de Créteil catalysent toutes les ambitions et déceptions de la décennie 60. A l’origine du projet, il y a Créteil, une ville en pleine métamorphose. Si dans les années 50, elle n’était encore qu’une ville champêtre, dix ans plus tard, elle devient le chef-lieu du nouveau département Val-de-Marne, un statut qui nécessite des travaux d’envergure… et de nouvelles habitations digne de ce nom. C’est ici qu’entre dans l’équation Gérard Grandval. L’architecte hérite d’une mission périlleuse : créer un nouveau quartier dans un triangle entre l'autoroute 86 et deux départementales. 

Convaincu par la nécessité d’en finir avec les cités dortoirs, désespéré par l’esthétisme utilitaire des villes nouvelles aux trop sages immeubles alignés, Grandval imagine une architecture plus souple et végétale. Ce vaste terrain vide n’offrait aucun paysage existant sur lequel se rattacher pour imaginer l'avenir, il fallait donc tout inventer. Une aubaine pour Grandval qui composera sur ces anciennes terres maraîchères l’une des architectures les plus insolites de ce Grand Paris alors en pleine éclosion. Dix tours de 21 mètres de diamètre, de quatorze étages et de 38 mètres de haut sortent de terre sous son imagination avant-gardiste. 

Pensé par groupe de trois, avec au centre un bâtiment dédié aux garages, Les Choux cultivent un esthétisme à la radicalité surprenante pour l’époque. « Sous les pétales, le bonheur du vivre ensemble » tel aurait pu être le slogan des lieux. Obsédé par le confort intérieur comme extérieur, l’architecte réduit les espaces communs souvent sources de conflits et ajoute surtout des balcons pour gagner en mètre carrés. Disposés en quinconque sur toutes les façades des bâtiments, ces balcons aux formes de pétales généreuses et légères vont conférer toute la poésie de ce projet immobilier… et forger sa véritable identité. Outre la surface gagnée, ces balcons devaient permettre l'intégration de verdure au coeur du béton. L'architecte désirait les végétaliser avec une vigne plantée au pied des immeubles circulaires et de multiples jardinières intégrées à la coque des balcons. Les immeubles auraient alors changer de peau au fil des saisons et les Choux seraient devenus le poumon vert de ce nouveau Créteil. Trop coûteux en termes d'entretien, le prometteur a refusé cet élément majeur du projet. Comme Abraxas, les Choux n'ont pas tenu toutes leurs promesses, ils n'en restent pas moins un passage obligé pour tout amateur d'architecture avant-gardiste.

>> Les Choux, 2 Boulevard Pablo Picasso, 94000 Créteil

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Le Centre National de danse de Pantin

JARRY/TRIPELON/Gamma-Rapho via Getty Images

À Pantin, le long du Canal de l’Ourq, un immense bâtiment au total look béton attire tous les regards pour son étrange façade aux multiples extensions graphiques. Monument du mouvement brutaliste en France, l’ancien centre administratif de la ville devenu Centre National de la danse a été conçu en 1965 par l’architecte Jacques Kalisz. Ce manifeste architectural au bord de l’eau catalyse toutes les caractéristiques d’un style qui refuse l’ornementation et privilégie une architecture aux lignes radicales.

À travers ce projet commandé par le maire communiste de l’époque, Jean Lolive, l’architecte français d’origine polonaise souhaite en finir avec les fioritures habituelles aux tonalités bourgeoises réservées aux bâtiments publics. Il faut créer un espace « lisible » pour les citoyens, un véritable « palais du peuple » selon lui. Ce vaste bloc de béton à l’allure labyrinthique fascine en extérieur pour ces extensions massives, des balcons d’un nouveau genre façon boîtes géométriques aux inspirations aztèques, et en intérieur pour son volume démesuré où un immense escalier à double circulation permet d’accéder aux différents services administratifs.

Hélas, le temps ne rend pas service au lieu. Le brutalisme vieillit mal et n’a guère bonne réputation. Décriée, abandonnée, l’adresse est mise à la disposition de l’Etat par la ville de Pantin pour un franc symbolique en vue de devenir le Centre National de la Danse. Le projet colossal de réhabilitation est confié à Antoinette Robain et Claire Guieysse. La métamorphose respectueuse des lieux en centre culturel leur vaudra le Prix de L’Équerre en 2004

>> Centre National de danse de Pantin, 1 Rue Victor Hugo, 93500 Pantin

Vidéo du jour
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Le Siège du Parti Communiste Français à Paris

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A la frontière du X et du XIX ème arrondissement, la place du Colonel-Fabien profite des charmes fascinants de l’une des architectures majeures de la capitale : le siège du Parti Communiste Français. Une bâtisse aux lignes lyriques et uniques signée Oscar Niemeyer. Auréolé de la création de la très moderne Brasilia et accessoirement communiste de la première heure, Niemeyer a trouvé refuge en France suite à l’avènement de la dictature militaire dans son pays au milieu des années 60. Choix de cœur et de raison – il traitera le projet de manière bénévole – l’architecte va mettre sa version poétique de l’architecture brutalisme au service des idées politiques d'un parti très avance sur les questions artistiques et culturelles. Avec Niemeyer, formes et convictions ne font qu’un. « Le siège du PCF constituera dans cette ville, un exemple d'architecture contemporaine, un point d'attraction et de tourisme. Un bâtiment aux formes nouvelles, simple sans finitions luxueuses et superflues. La maison du travailleur. Et le siège du PCF ne sera pas simplement un bon exemple d'architecture, mais une marque de la société socialiste » déclare-t-il à l'époque. 

Ambitieux pour ses lignes inédites dans ce Paris populaire, cœur de la contestation ouvrière depuis toujours, le siège du PCF sortira de terre en deux étapes. En collaboration avec les architectes Jean Prouvé, Jean Deroche et Paul Chemetov, Niemeyer mène les travaux du bâtiment principal dès 1968 et les achève en 1971, tandis que la coupole, le parvis et le hall souterrain ne seront terminés qu’en 1980. Si Niemeyer respecte les 5 principes de l’architecture moderne prêchés par Le Corbusier (utilisation du béton, verre, acier, emploi de pilotis pour libérer les espaces au sol, façade libre…), il s’émancipe aussi du maître au fil de sa carrière pour inventer son propre langage formel, fortement empreint de sa vision poétique et politique du monde. « Ce qui m'attire, c'est la courbe libre et sensuelle, la courbe que je rencontre dans les montagnes de mon pays, dans le cours sinueux de ses fleuves, dans le nuage du ciel, dans le corps des femmes. Tout l'univers est fait de courbes » écrira t-il dans ses mémoires. Le siège du PCF est la concrétisation fidèle de sa pensée, une ode à cette courbe envoûtante, une courbe sans cesse surlignée de matériaux modernes et futuristes. Habillé d’une façade de vitre en verre fumé, le bâtiment principal décline cette obsession de la vague en formant un « S ». Posé sur des pilotis, il semble flotter au-dessus du sol pour se rapprocher un peu plus près des nuages chers à Niemeyer. Cette légèreté s’exprime également dans l’immense sous-sol pensé comme une vaste place souterraine à la fluidité exemplaire baptisée « foyer de la classe ouvrière ». Mondialement connu par les amateurs d’architecture, la pièce majeure des lieux prend la forme d’une drôle de dôme blanchi aux allures d’ovni encastré dans une pelouse verte de l’extérieur et qui abrite la salle du Conseil national du PCF. Cette coupole tout en sensualité représente le ventre d’une femme enceinte pour l’architecte. Profondément novateur, son décor intérieur poursuit cette quête de la courbe libre et sensuelle avec de longues tables blanches et des murs et plafond revêtis de milliers de lames métalliques profondément subjuguantes.

Le chef-d'oeuvre de Niemeyer se démocratisera certainement pas comme il l'aurait imaginé. En perte de vitesse électorale dans les années 90, le PCF sera obligé de louer ponctuellement ses locaux spectaculaires pour des défilés de mode, tournage de clips ou de films, mais il continua ainsi à rester dans la légende de l'architecture hexagonale et sera classé Monument Historique en 2007.

>> Siège du Parti Communiste Français, 2 Place du Colonel Fabien, 75019 Paris

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Les Arènes de Picasso à Noisy-le-Grand

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Non loin des Espaces d’Abraxas s’élève un autre monument de taille : Les Arènes de Picasso. Cet énième morceau de bravoure de l’architecture urbaine du Grand Paris est l’œuvre d’un disciple de Ricardo Bofill : Manuel Núñez Yanowsky. Réalisé à l’aube des années 80, cet ensemble de 540 logements, crèche, établissements scolaires et boutiques s’inscrit dans une volonté de renouveler le logement social… et plus largement le paysage local. Comme Abraxas, Les Arènes de Nunez affirment par sa silhouette ambitieuse et singulière les infinies possibilités de l’industrie du logement social et le respect de ses habitants à travers l’attention porté aux détails. 

Comme Bofill à Abraxas, Nunez aux Arènes façonne un projet aux accents futuristes pourtant peuplé de détails architecturaux empruntés au passé : arcades inclinées du parc de Guëll de Gaudi à Barcelone, cylindre monumentale du cénotaphe de l’architecte Étienne-Louis Boullée, toitures mansardées à la parisienne…   Avec son allure grandiloquente émergeant du ciel de Noisy-le-Grand et organisé autour de la place octogonale Pablo Picasso, cet ensemble constitué de deux immenses cylindres encastrés dans des immeubles, sublimés par une série de voûtes, tranche par la douceur  des formes employées et l’incroyable richesse ornementales de ses façades. Rien n’est laissé au hasard dans cette architecture de béton que Núñez a traité comme un monument de l’ancien temps en pierre de taille. "Si donner aux gens un cadre presque parfait, une qualité d'espaces extérieurs et intérieurs, une finition de matériaux luxueux, un traitement architectural remarquable, c'est faire de de l'architecture monumental, alors oui c'est ce que je fais" analysait l'auteur des lieux. Comme Abraxas, ce monument XXL sera souvent le théâtre de clips de musique et tournages de films. 

 >> Les Arènes de Picasso, 6 Place Pablo Picasso, 93160 Noisy-le-Grand

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La Maison du Brésil à Paris

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Située à deux pas du Parc Montsouris dans le sud de la capitale, la Cité Internationale est née au lendemain de la Première Guerre Mondiale de la volonté de porter plus que jamais les valeurs d’un monde pacifié. Parmi ces 43 maisons qui accueillent étudiants et chercheurs français et internationaux depuis près d’un siècle, la Maison du Brésil fait figure d’incontournable.

Financé par l’Institut brésilien d’études pédagogiques et inauguré en 1959, le projet a été confié initialement par le gouvernement brésilien à l’architecte brésilien Lucio Costa, célèbre pour avoir conçu notamment le plan-pilote de la construction de la ville de Brasilia, dont Oscar Niemeyer signera les édifices publics majeurs. Pour l’accompagner à réaliser cette maison dédiée à son pays d'origine, Costa fait appel à son ami Le Corbusier. Déjà auteur du pavillon suisse sur le campus, le maître de l’architecture moderne prendra de grandes libertés avec le projet de départ de l’architecte brésilien, si bien que ce dernier refusera d’être qualifié d’auteur du bâtiment.

Le Maison du Brésil est typique de l’œuvre de Le Corbusier. On y retrouve quelques-uns de ses fameux points de l’architecture moderne : pilotis, fenêtre bandeau, plan et façade libre en tête. Large barre d’habitation de cinq étages, la Maison du Brésil est une cousine éloignée de la Cité Radieuse sortie de terre quelques années auparavant à Marseille. Sur des pilotis en béton brut se dressent une ribambelle de loggias colorées habillant toute la façade, emblématique de la série d'unités d'habitation construites par Le Corbusier durant cette période. Inscrit aux Monuments Historiques français en 1985, le bâtiment fut entièrement restauré en 2000 et continue à accueillir des étudiants brésiliens. 

>> La Maison du Brésil, 7 L Boulevard Jourdan, 75014 Paris

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